Loin d’avoir apaisé les tensions, la crise sanitaire du coronavirus risque fort de se doubler d’une crise sociale. Les fractures préexistantes sont exacerbées et les messages de l’exécutif ravivent quelques vieux démons franco-français… De leur côté, les syndicats ont plus que jamais une revanche à prendre sur le système et contre les politiques en place. Les entreprises sont fragilisées comme jamais et les salariés, s’ils n’ont pas déjà vu leurs contrats s’arrêter, vont se rendre compte de façon décalée de l’impact financier. Pourtant, il faudra bien assumer le coût financier faramineux de la crise et de ses conséquences économiques…
Au cours des dernières années, nous avons pu observer un regain des tensions sociales, pas tellement collectives et organisées par les syndicats comme “avant”, mais plus diffuses, moins contrôlées donc moins contrôlables. Les gilets jaunes sont le reflet au niveau national de ce qu’il se passe au quotidien dans chaque société ou collectivité. Car les fractures sont multiples : entre les manuels et les tertiaires, entre les ruraux et les citadins, entre les citoyens et leurs élites, entre les employés et les investisseurs, etc. Pour les uns (de plus en nombreux et englobant désormais la classe moyenne), c’est le sentiment d’être face à un plafond de verre. Pour les autres, c’est le sol de verre, ou l’incapacité de comprendre le sentiment quotidien des premiers, et donc de leur parler. Les débats ne sont plus sur le fait d’être d’accord ou pas d’accord mais d’arriver à se comprendre ou pas. La crise sanitaire augmente ainsi ce sentiment entre ceux qui peuvent télétravailler et ceux qui subissent le chômage partiel car il leur est physiquement impossible de faire leur travail faute d’un poste compatible avec les règles de distanciation sociale en l’absence de masque. Entre ceux qui quittent leur habitat urbain pour leurs résidences secondaires et ceux qui ne peuvent pas bouger de leurs quelques mètres carrés. Entre ceux qui restent confinés chez eux et qui se font livrer tout ce dont ils ont besoin, bien au-delà des besoins essentiels, et ceux qui vont au travail la peur au ventre pour les servir.
L’exécutif, pour des questions de communication, renforce malheureusement ces tensions déjà sous-jacentes. Pour faire oublier une image de “Président des riches”, la formule dialectiquement répétée “quoi qu’il en coûte” ne peut que conforter ceux qui imaginent qu’il y a toujours de l’argent quelque part. Alors qu’elle était expliquée comme indispensable et vitale pour le pays, la réforme des retraites est abandonnée en rase campagne dans la même panique que les renoncements de 2019 face aux gilets jaunes. Le débat public sur les dividendes ravive cette impression de lutte des classes alors que bon nombre d’entreprises ne pourront de toute façon pas faire autrement que de préserver leur cash en limitant voire annulant la distribution des dividendes. Celui sur les nationalisations, même temporaires, ramène le débat au début des années 1980. La justesse des actions de fond est ruinée d’un point de vue de social par les artifices superficiels de communication.
Que dire encore des messages appelant à continuer à travailler tout en rappelant aux employeurs leur responsabilité en termes de Sécurité sans que des masques soient massivement à disposition ? Et des appels désormais récurrents à des primes exceptionnelles… Récompenser ceux qui se sont investis et ont pris des risques est une chose juste, mais là encore le message est brouillé pour des questions de communication et d’arrière-pensée politicienne. Tout est une question de subtilité. La façon de présenter les sujets est différentes selon l’objectif : tenter de changer une image ou permettre aux acteurs ou de seulement gérer l’immédiat et de construire la suite sereinement.
Et les syndicats dans tout cela ? Ils n’ont jamais pu obtenir ce que les gilets jaunes ont obtenu. La réforme honnie des retraites ? C’est le coronavirus qui en a eu raison après l’épisode du 49-3. Sur le fond, le problème n’est pas résolu et la crise risque même de l’aggraver.
Pourtant, il y a fort à parier que la reconstruction, ou le redémarrage économique, passera justement pas une régulation millimétrée de ce corps social. Pour absorber le choc et les ajustements qui seront inévitables. Pour profiter des difficultés pour se transformer. Pour changer ce qui doit changer. Et comme l’argent ne tombe pas du ciel, il faudra bien un jour payer celui de la crise plus celui des dettes accumulées les cinquante années précédentes.
Comme il est fort probable que cette tendance ne s’arrête pas, préparons-nous dans les entreprises dès maintenant en travaillant sur la synthèse de ce qui a été fait et en préparant les arbitrages en tenant compte des impératifs de régulation sociale.
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